Un article vient d’être publié dans la revue internationale Gondwana Research sur la genèse des kersantites ouest-armoricaines et des intrusions associées (Caroff et al., 2021). Ces dernières correspondent à des microgranodiorites (dont la Pierre du Roz à Logonna-Daoulas est l’affleurement le plus emblématique) et des microgranites (incluant la grande intrusion qui constitue l’armature de l’Île Longue à Crozon).
Le terme « kersantite » désigne depuis le XIXe siècle, dans la nomenclature internationale des roches magmatiques, un type particulier de lamprophyres (« roches brillantes »), de couleur sombre et de composition chimique mafique (riche en magnésium), dont la minéralogie est dominée par le mica noir (> 35 %) et le plagioclase. Ce sont des roches exceptionnelles, que l’on rencontre tout de même, de manière éparse, sur tous les continents.
Les kersantites et les filons associés de la pointe armoricaine se sont mis en place au cours de la compression hercynienne, entre 330 et 310 millions d’années, à une profondeur comprise entre 7,5 et 11,5 km. Ces filons sont actuellement observables à l’affleurement à cause de l’intense érosion qui a décapé cette ancienne chaîne de montagnes. La couleur du faciès gris-clair, qui affleure en particulier dans la carrière du Rhun-Vras à L’Hôpital Camfrout et à la pointe du Château à Logonna-Daoulas, est due à une intense chloritisation hydrothermale des micas noirs (transformation des micas en chlorite par altération).
Les magmas kersantitiques se sont formés à une profondeur d’environ 80 km, à la suite de la fusion partielle du manteau lithosphérique, après transformation chimique de celui-ci par des circulations de fluides profonds. Les microgranodiorites et microgranites associés se sont formés à des profondeurs moins importantes par mélange entre des magmas de type kersantitique et d’autres issus de la fusion partielle de la croûte continentale. Avant de se mettre en place sous forme de filons, les liquides magmatiques correspondants se sont stockés dans des réservoirs profonds d’une trentaine de kilomètres, où leur composition chimique a évolué.
Cette étude, couplée à d’autres travaux récents sur le Massif armoricain (comme ceux qui ont mis en évidence un volcanisme de 336 millions d’années dans la partie sud d’Ouessant : Caroff et al., 2020), permet de faire évoluer significativement la vision de la Chaîne hercynienne en Europe occidentale. L’une des principales conclusions à laquelle ont abouti les auteurs est que l’épaississement de la croûte continentale lié à la collision entre les plaques tectoniques entre 340 et 300 millions d’années qui a donné naissance au Massif armoricain était bien moins important que ce que l’on pensait jusqu’à présent.
Références
Caroff, M., Barrat, J.-A., Le Gall, B. (2021) Kersantites and associated intrusives from the type locality (Kersanton), Variscan Belt of Western Armorica (France). Gondwana Research 98, 46-62. (accès gratuit au pdf jusqu’au 6 août 2021).
Caroff, M., Le Gall, B., Authemayou, C. (2020) How does a monzogranite turn into a trachydacitic extrusion mantled by basinal volcaniclastics and peperites? The case of South-Ouessant, Armorican Variscides (France). Journal of the Geological Society, 177, 1161-1167.
Figure. Le filon de kersantite de Kerascoët, L’Hôpital Camfrout. Partie basale, au contact avec des schistes dévoniens déformés, montrant les colonnes prismatiques verticales de refroidissement. À noter la présence d’un grand « cluster » de bulles de gaz dans la partie droite de la photo.